Nicolas Sarkozy a engagé l’armée française sur de nombreux terrains extérieurs sans encourir trop de critiques. Il vient de franchir une nouvelle limite, avec la même « baraka ».
Dix mille militaires engagés dans des opérations extérieures, cela n’est pas rien. Une capacité maximale de trente mille pouvant être projetée pendant une durée d’un an était l’objectif fixé par le Livre Blanc de Défense et de Sécurité de 2008. Pour autant, le format général des armées est en réduction. La tension sur les effectifs et les équipements est donc forte. Mais ceci regarde l’instrument. Le débat en l’occurrence sur les engagements français à l’étranger n’est pas tant technique ou budgétaire que politique. Pourquoi, où, quand et comment intervenir ? Les uns réclament une « doctrine » cohérente, prévisible et responsable, qu’ils estiment ne pas exister, les autres critiquent l’idéologie implicite et la dérive « impérialiste » du pouvoir élyséen.
Les initiatives françaises ont plutôt été bien accueillies par l’opinion française et internationale là où il y a une opinion libre. Les frappes initiales en Libye, la neutralisation des armes lourdes en Côte d’Ivoire, étaient des opérations limitées à leur objet — la protection des civils — et aux résolutions du Conseil de sécurité de l’Onu, respectivement 1973 (Libye) et 1975 (Côte d’Ivoire). Le président Sarkozy a été apprécié comme un chef des Armées qui décide, dans l’urgence, et l’armée française comme une force d’exécution fiable qui observe les règles internationales désormais très strictes et assorties de sanctions judiciaires. à Benghazi, malgré les bavures de l’aviation de l’Otan, les Français sont toujours choyés comme les premiers alliés. à Abidjan, depuis les morts de 2004, le sentiment antifrançais n’est pas si fort qu’on pourrait penser. L’action décisive des militaires français pour l’arrestation du président Gbagbo le 11 avril s’est plutôt bien déroulée. Si elle avait eu lieu en 2002, le pays aurait gagné 9 ans. Une telle exfiltration annonce-t-elle une action du même type en Libye ? Personne ne le souhaite pour l’instant.
Pourtant les situations ont bien des points communs. Les forces « rebelles » en Libye, pro-Ouattara en Côte d’Ivoire, sont faiblement constituées, improvisées, inorganisées. Ce n’est pas seulement la question de l’armement, mais l’encadrement, la discipline, la tactique, tout serait à reprendre. Hier, la coopération militaire française pouvait fournir des instructeurs, des conseillers, des forces spéciales. Il n’en est plus question. Encore moins, en principe, de force combattante, vite qualifiée par les Nations unies de force d’ « occupation » surtout si elle provient d’un seul pays.
Mais l’exemple afghan montre aussi les limites des « coalitions ». En Libye comme en Côte d’Ivoire, il est accepté par l’opinion française que, quelle que soit la couverture, Onu ou Otan, voire européenne, la France soit en première ligne car les intérêts nationaux sont bien perçus. Dans le cas de l’Afghanistan, plus éloigné, où l’intérêt est plus indirect, la participation à la Coalition est plus confusément vécue. Elle a besoin d’être justifiée en permanence, et spécialement à chaque décès au combat.
C’est pour éviter un tel enlisement que les autorités françaises ont forcé le destin en Côte d’Ivoire. Elles savent en effet que si nos forces devaient connaître des revers, si elles n’arrivaient pas à leurs fins, même implicites, et même sans tués, l’alternative serait rapidement entre l’abandon et l’escalade. C’est paradoxalement pour éviter cette dernière que l’arrestation de Gbagbo a été décidée. Un échec dans l’exécution aurait été catastrophique. C’est un succès qu’il faut maintenant gérer au mieux.
[par Yves La Marck, lundi 11 avril 2011, in France catholique]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire