L’époque se gargarise de mots et l’humanisme est une vedette. On le trouve partout, en politique, en économie, en gestion et, par respect pour la laïcité, le voilà en passe de devenir le dénominateur commun des religions. On s’entend d’autant plus facilement sur le mot, que chacun peut lui donner le sens qui lui convient. Si on retient la définition du dictionnaire, il s’agit « de toute théorie ou doctrine qui prend pour fin la personne et son épanouissement ». Encore faut-il savoir ce qu’est cette personne, car le mot est aussi équivoque. En référence à l’étymologie, disons que c’est un individu qui joue un rôle, qui remplit une fonction. Mais alors quel rôle ou quelle fonction ?
Il semble que la bible, aux premiers chapitres de la Genèse (1,26 et 2,4b) puisse nous servir de guide. Fruit d’une antique sagesse, elle présente deux récits complémentaires de la création de l’homme. Dans le premier, l’homme apparaît le sixième jour, couronnant en quelque sorte l’œuvre de Dieu. C’est de celui-ci qu’il reçoit sa mission : « emplissez la terre et soumettez-la ». Dans le second récit, c’est l’homme qui entre en scène le premier. Le jardin d’Eden lui est offert, avec toutes ses ressources, mais un arbre lui est interdit, celui de la connaissance du bien et du mal. Comprenons qu’il peut user de tout mais ne peut prétendre se faire l’arbitre du bien et du mal. Bref que dans ce domaine, il lui faut une référence extérieure à lui. Mais, pour le reste, le voilà en charge de résoudre, pour lui-même, le problème de la liberté, c’est-à-dire du choix.
Poursuivre l’œuvre de Dieu d’une part, choisir ce qui peut la compléter, d’autre part : c’est dans cette double mission que va s’accomplir sa personne. C’est donc cette double mission que prend en charge un véritable humanisme.
Pour la première, si ce n’est pas facile, c’est clair : il s’agit de poursuivre l’œuvre du créateur dans le monde qui nous est donné, en l’humanisant. On veut dire en l’organisant pour que, dans tous les domaines, s’améliorent les conditions de vie de l’homme On pense à l’immense effort accompli, à travers les siècles, pour faciliter les échanges, pour développer l’agriculture, éliminer ou du moins faciliter les tâches les plus pénibles, faire reculer les maladies. Ebloui par ses conquêtes, il est tentant pour l’homme de ne pas voir de limite à son pouvoir et d’oublier le conflit qu’il est appelé à régler avec une nature dont il n’est pas le maître et qui sait le lui rappeler.
Dans la seconde mission, ce n’est plus l’humanisation du monde qui définit l’humanisme, c’est ce qu’on peut appeler l’hominisation de l’homme. Le combat est intérieur : il est moral. Comment vivre une liberté responsable sans se laisser prendre au mirage de l’indépendance ? Chacun comprendra que l’effort devra porter sur une véritable conquête du discernement qui ne peut être que le fruit de la culture. Toutes les potentialités de la personne sont alors mobilisées. Les anciens distinguaient la psyche, le logos et le pneuma. On entre en culture par l’un ou l’autre des deux premiers, la sensibilité ou la raison, c’est-à-dire l’art ou la science. Le tout est d’aller jusqu’au bout de ses talents. Alors s’ouvrent les horizons de la vie spirituelle qui dépasse intelligence et sensibilité par une sorte de fascination de la beauté ou de la vérité.
Promouvoir l’humanisme, c’est donc, on le voit, mettre en œuvre l’ensemble des conditions favorables à l’efficacité et à l’épanouissement de chacun. Il trouve d’ailleurs l’une dans l’autre et réciproquement. En effet tout en humanisant le monde, l’homme se construit et en se construisant il se rend plus efficace encore. L’humanisme est la conscience de cette double responsabilité. Que la Bible nous l’apprenne, ou nous le rappelle, est le signe que nous n’inventons pas l’humanisme et que nous avons besoin de chercher, ailleurs qu’en nous-mêmes ce qui peut guider nos pas.
[in France catholique, mardi 12 avril 2011, Hyacinthe-Marie Houard]
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